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Retranscription du Tuyau, numéro 35, page 3 (23-30 mars 1916)

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-Images de Chez-Nous -
"La petite ville"

C'est à trois cents kilomètres de Paris sur la ligne de Bretagne, une petite ville au bord d'une rivière.

Le train qui vous y conduit quitte la gare Montparnasse. D'une allure hésitante, il s'engage à travers les maisons, les écoles, les guinguettes et les jeux de boules du quartier d'Ouest. Enfin il franchit les fortifications, longe les bicoques lépreuses et les jardins maraîchers de Iassetgfe (?). Meudon - Bellevue - Chalville passent et les villas coquettes dans la verdure. Puis Versailles et la splendeur du grand siècle. Puis rassuré, sans doute sur la route du grand siècle file à grande vitesse par les plaines de la Seine et Oise et le l'Eure et Loire. Il traverse la Beauce, toute blonde en été sous les épis, laisse à sa gauche les sapins d'Auvours, atteint le Mans; puis, comme épuisé par son effort ou gagné peut-être par la grande paix des campagnes environnantes, il ralentit sa marche et passe, nonchalant, devant les prés de la Mayenne, jalousement clos de haies et bordés de pommiers. Enfin, au bout de cinq heures, il vous dépose sur le quai de la gare dans la petite ville.

Vous êtes à Laval (30.252 habitants) préfecture et évêché sur la Mayenne.

Si vous êtes arrivé un samedi soir jour de marché, la gare est pleine de paysannes en bonnets à brides et en robes criardes, qui, les bras chargés de paquets, s'affairent, s'empressent, et sous la direction d'un employé s'en vont avec des "hé!là!" et des "Dame oui!..sonores, gagner les trains locaux qui les ramèneront au logis. Le reste de la semaine, la gare est calme. Quelques voyageurs à destination de la Bretagne, montent sans hâte dans le train que vous venez de quitter sans hâte aussi la marchande de journeaux vend ses périodiques et le garçon du buffet ses rafraîchissements. Les employés qui déchargent vos bagages ont les gestes lents et la physionomie paisible d'hommes qu'un labeur excessif ne surmène pas et dont les instants ne sont pas comptés.

Décidément vous êtes en province. Paris est loin et l'activité fébrile de ses gens. Ici l'on ne se presse pas, on a "le temps".

Vous donnez votre billet, vous montrez "patte blanche" à l'employé de l'octroi, et vous sortez. Sur la traditionnelle place de la gare jadis crevé d'un jardinet minuscule que le progrès fit disparaître, cochers et commissionnaires vous attendent. Ils sont là une douzaine environ, cochers de fiacres aux voitures à demi-séculaires, cochers d'hotels dont les casquettes en cuir bouilli portent des inscriptions héritées d'un autre âge: "La tête noire" "La boule d'or" ou "le vieux Saint-Louis" commissionnaires enfin qui, la plaque de cuivre au côté, montent la garde près de leurs charrettes renversées dont les bras se dressent vers le ciel - interminables......On se dispute votre clientèle, sans âpreté, car la province est courtoise et il faut bien que chacun vive, et vous voici roulant sur les pavés pointus.

Elle est charmante, la petite ville provinciale avec ses rues bien droites, ses maisonnettes claires ses magasins accueillants et vieillots, avec la rivière que le battoir des laveuses emplit d'un joyeux fracas rythmé, et qui coule, alerte et rapide du viaduc construit il y a quarante ans à la séculaire basilique d'Avesnières, avec ses quais où l'on flâne, où, sur le trottoir, le poisson fraîchement capturé, brille et frétille dans le filet des pêcheurs à la ligne - avec son vieux château et sa cathédrale sur la hauteur, avec ses promenades plantées de marronniers à l'entrée desquelles, doctorat, Ambroise Paré enseigne que "l'homme soigne et que Dieu guérit" tandis que plus loin, blanches dans la verdure Diane, Flore et Pomone exhibent au milieu


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