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Retranscription du Tuyau, numéro 7, page 4 (26 août 1915)
route. Il a vu les tranchées où elle s'abrite. Avec sa connaissance de la langue allemande, il a compris les ordres donnés par le capitaine qui la commande. Il ne serait pas difficile, pense-t-il, de bousculer cette petite troupe ou de la capturer. Mais nos hommes sont fatigués, la nuit est noire et l'attaque judicieusement, est remise au lendemain. Nous regagnons le canal, et tandis qu'une compagnie prend la garde au passage à niveau, nous nous installons sur le talus pour y passer la nuit. J'ai alors quelques instants de bonheur vrai. D'abord, je meurs de sommeil. J'ai la sensation charmante que, dès que j'aurai laissé aller ma tête sur mon sac, je dormirai à poings fermés et que le sol pourra être dur, la nuit pourra être fraîche, je n'en resterai pas moins jusqu'au matin plongé dans un engourdissement délicieux. Puis je suis heureux d'avoir reçu le "baptême du feu". Je redoutais un peu, je l'avoue, cette journée d'initiation. On a beau se connaître, on ne se connaît jamais assez pour savoir quelle figure on fera sur un champ de bataille. J'ai fait une figure honorable, du moins je me plais à le croire, et je ne suis pas mécontent de moi. Enfin jusqu'à présent tout nous a souri. Les Allemands reculent devant nous, nous les refoulons sans grandes peines. J'en conclus un peu légèrement qu'il en sera toujours ainsi que cette guerre sera à la fois, courte, facile et peu coûteuse. Je ne garderai pas longtemps cette illusion. Lundi 14 septembre 1914 De bon matin départ. On repasse la voie ferrée. Nous reprenons l'intinéraire de la veille au soir. Ma compagnie se forme en ligne de sections par quatre. Trois sections marchent vers Brimont par la grande route et le bois Soulens d'où les Allemands ont disparu. La 4e section à laquelle j'appartiens avance dans les champs entre le bois, et la voie ferrée, à la hauteur des trois premières. Bientôt on me charge d'aller en patrouille à la verrerie de C... pour mettre notre régiment en liaison avec le régiment voisin. Mes hommes et moi, nous cheminons à travers l'herbe humide, nous passons sous un pont de chemin de fer, gagnons le canal, et nous acquittons de notre mission sans être inquiétés. Mais au retour, une pluie de projectiles de toute espèce, partis de la colline de Brimont, tombe autour de nous, et nous n'avons que le temps de gagner le pont de chemin de fer pour nous y abriter. Là, nous attendons patiemment la fin de l'ondée. Des balles, de temps à autre viennent mourir sur la maçonnerie du pont, en face de nous. Les hommes ne semblent pas s'en apercevoir et bavardent gaiement. L'un d'eux fait l'inventaire d'un sac allemand abandonné qu'il a trouvé je ne sais où. Quant à moi je suis des yeux ma compagnie que j'aperçois dans le bois Soulens, arrêtée, elle aussi par la rafale dans sa marche en avant. Une légère accalmie nous permet de la rejoindre. Je fais mon rapport au Commandant N.... qui se trouve là. Puis nous allons nous étendre auprès de nos camarades sous les arbres, car la pluie d'obus reprend de plus belle, et la consigne est, jusqu'à nouvel ordre de ne pas bouger. C'est alors que pour nous réconforter, s'il en était besoin, on nous lit le bulletin de victoire maintenant fameux que Joffre vient de lancer à la suite de le bataille de la Marne. Deux armées allemandes battues et en retraite.... une troisième fortement ébranlée... l'offensive ennemie enrayée... Ces mots magiques résonnent à mes oreilles. Et bien que nous soyons couchés à plat ventre dans des sous-bois bourbeux, bien que les obus sifflent au-dessus de nos têtes, nous goûtons une minute de pure ivresse... Vers onze heures nous nous remettons en marche, nous progressons dans le bois, nous allons en occuper, ma compagnie du moins, la partie Nord-Est. Et nous attendons la nuit pour nous approcher du Chateau de Brimont. Car, d'y aller en plein jour, il n'y faut pas compter. Nous sommes sous les forts de Reims et les batteries allemands qui y sont installés bombardent en conscience tout le pays environnant. Nous mêmes dans le bois nous entendons sans cesse au-dessus de nos têtes des ronflements ou des miaulements d'obus suivis d'un brut de chûte et de branches cassées... La journée s'écoula lentement de loin en loin nous tirons sur des ombres aperçues à l'horizon, mais sans conviction et j'imagine sans effet. Enfin, vers minuit nous partons, nous gagnons le chateau. Nous y pénétrons au petit jour par le parc après avoir arraché les fils de fer qui en forment la clôture. Les Allemands ne sont plus là. Ils se sont retirés dans les tranchées qu'ils ont creusés sur la colline de Brimont. De là-haut, ils nous accueillent à notre arrivée par une fusillade qui nous tue un officier. Nous prenons possession du château et de la ferme nous les mettons en état de défense. Nous nous proposons d'y goûter quelques jours de repos. Nous n'y serons pas longtemps tranquilles. L.Calvet
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