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Retranscription du Tuyau, numéro 7, page 7 (26 août 1915)

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vôtres étaient des larmes de repentir et de pardon!!...
Insignifiants cartons, que de joies vous nous procurez à la lecture aimée des nouvelles de l'épouse. C'est notre vie journalière que vous nous rappelez: les joies familiales que vous évoquez; notre petit intérieur dressé comme un doux nid pour complaire nos heures de tête à tête que vous nous esquissez.
Nos petites discussions intimes auxquelles aucun de nous n'échappe et se terminent toujours par un traité à l'avantage des deux parties; c'est les projets d'avenir formés en secret au profit de têtes blondes ou brunes, c'est toujours nous, puisque désormais la vie de l'un est celle de l'autre.
Lettres de nos épouses revenez-vous en plus grand nombre pour nous affranchir d'idées noires et orner notre exil de pensées réconfortantes! Insignifiants cartons qui nous apportez le style mutin de nos bambins, c'est vous, certes, qui frappez le plus à la porte de notre coeur. Ecrits d'une main tremblante ou guidée par la main maternelle ces mots "Cher Papa" nous ramènent 20 ans, 15 ans en arrière, à l'époque où nous mêmes nous les tracions, où nous savions que ce père était tout pour nous, notre protecteur, notre nourricier.
"Signes mal tracés", vous nous rappelez ces petits désordonnés que nous aimions balancer sur nos genoux en leur contant "Petit Poucet" ou "Chaperon Rouge" et dont ils nous remerciaient par de bruyants baisers, preuve de leur joie et de leur affection. "Petites phrases" mal façonnées vous nous faites songer que nous manquons pour les encourager dans la voie du progrès. A petits reproches, grands effets, la maman est parfois trop sensible, elle aime beaucoup et pardonne trop souvent, on sent que papa n'est pas là!!... "Papa reviens vite" nous reconnaissons l'élan naturel du coeur de l'enfant, pauvres chéris qui ne savez pas que vos cris, vos jeux bruyants seraient pour le papa un attrait, un renouveau, dans la maison qu'il regrette à cette heure.
Lettres de nos bambins revenez vite et qu'arrive bientôt la dernière! Nous voyons que vous n'avez, faute à vos jeunes ans, qu'un souvenir vague, une insignifiante vision de celui qui vous aimez tant et vous chérit du profond de son être!!
Insignifiants cartons qui nous apportez en rêve l'image de la douce fiancée, que de bonheur vous mêlez à nos peines.
Quelles paroles consolantes ne tenez-vous pas pour celui qui soupire après tant de déboires à un avenir calme et ensoleillé, à la création d'un foyer!!...
Mais ceci est pour le jeunes, ceux qu'auréole encore la prime fleur de 25 ans!! Ceux-là seuls peuvent dire ce qu'ils éprouvent réellement...
Lettres de fiancées revenez vite pour leur coeur amoureux... les vieux ne seront pas jaloux!
Insignifiants cartons qui portez la signature de l'ami, précieux gages du passé, souvenirs bienveillants de l'enfance, vous ne pouvez comprendre ce que vous recélez d'influence morale. C'est la pensée d'un être plus exposé que nous, que vous nous transmettez, pensée d'un camarade du front, enivré de poudre et de fumée, qui songe aux exilés dont il sera peut-être demain. Vous nous apportez la réconfort du camarade blessé, qui peut-être lui-même, a tant besoin de paroles consolatrices!!
C'est l'existence entière qui défile: des vieux bancs poussiéreux de l'école jusqu'à l'accolade dernière quand nous nous sommes quittés pas sûrs, l'un et l'autre, de nous revoir.
Lettres d'amis revenez-nous vite, l'oubli est le prélude de l'ingratitude.
Lettres des uns, lettres des autres, vous nous faîtes revivre, vous nous armez d'espoir! L'instant d'après paraît pénible, les joies évoquées, nous laissent mélancoliques, prisonniers!!
Combien de temps encore faudra-t-il relire ces lettres, évoquer des souvenirs avant d'atteindre la réalité des affections et des embrassements! Puisque nul ne peut le prévoir, petites missives venez plus nombreuses; vous aurez moins de peine à chasser nos mauvaises pensées, le temps si long nous paraîtra plus court, le calme se rétablira en nos cerveaux et nous permettra d'attendre patiemment la paix.
Revenez petites missives... la guerre finira, c'est à ce moment que nous comprendrons mieux les tendresses de nos mères, les caresses de nos épouses, les baisers de nos fils, les franches étraientes de nos amis et, si des deuils nous ont affligés nous devons par réciprocité affectionner une fois de plus ceux qui nous restent en attendant comme l'a dit le fabuliste que...
"sur les ailes du temps, la tristesse s'envole"
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Lucien tu as une lettre!! moi aussi!!
H.Relant


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