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Retranscription du Tuyau, numéro 25, page 5 (30 décembre 1915)

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Rêve ou réalité?

J'eus l'autre soir, la veille de Noël, un rêve bien étrange. C'était peut-être un rêve. Peut-être était-ce une réalité! Nous étions dans une salle qui ressemblait à la 6B bien que l'aspect en fut modifié par les oriflammes qui pendaient du plafond et les draperies qui couvraient les murs. Au fond s'élevait une estrade sur laquelle jouait un orchestre que me parut être le nôtre, bien que le visage de quelques musiciens, par crainte sans doute de l'éclat trop crû des lustres, se dissimulait sous une couche de fard. A côté de cette estrade, il y en avait une autre en pan coupé sur laquelle vinrent s'asseoir, nos hôtes Français et Russes. En contrebas de l'orchestre sur des chaises d'honneur, qui leur avaient été réservées, je crus reconnaître Mr le commandant de la 1ère Compie, quelques uns de ces messieurs de la censure et des sous-officiers allemands.
Etait-ce donc une réalité?
Mais non, c'était un rêve. Car il n'y a pas d'agents de ville, j'entends d'agents Français à Quedlinburg et pourtant dès le commencement de la fête, nous vîmes s'avancer, d'un pas délibéré, des "flics" parisiens, des flics bien authentiques, qui, le bâton blanc au côté, organisèrent le service d'ordre tandis que, reculent, hilarant, énorme un garde champêtre faisait circuler les Russes apeurés.
Dans mon rêve, qui était peut-être une réalité, il me sembla que la musique jouait une marche, puis devant la porte d'entrée, une draperie se souleva et un héraut d'armes apparut, la hallebarde au poing. Après être resté quelque temps immobile, au milier de la salle, il vint se placer sur un côté. Et alors, commença un défilé qui tenait de la fantasmagorie.
On vit d'abord apparaître deux mitrons vêtus du traditionnel costume blanc, puis un couple de bergers napolitains qui s'avancèrent avec une gaucherie fort bien jouée, puis le jockey Barat, qui fit bien son entrée sur une monture assez inférieure. Puis ce fut une "quadrilla espagnola" très russie, un quatuor de jolis toreros, alertes, élégants et bien découplés, que précédait un de plus distingués Figaro, dans un costume fastueux, hérité de son grand ancêtre. Ensuite, trottinant suivant la tradition, la grande seringue à la main, l'on vit venir Mr Diafoirus, puis un couple excentrique de Montmartrois, puis un trabe et une mousquère, puis deux maîtres baigneurs qui, la bouée de sauvetage à la main, le béret sur la tête, leurs formes abondantes garnissant plus que suffisamment leur maillot rayé et leur culotte blanche, se taillèrent un joli succès en esquissant un pas de polka, sur l'air de:
Mamans les petits bateaux"
puis notre ineffable directeur qui, déguisé en "Tuyau" fit dans la salle une entrée sensationnelle et d'ailleurs régulière, la censure lui ayant mis sur le ventre un énorme laissez-passer; puis Claudine polissonne et Flachon gateux exquis, dont l'art donne l'illusion du naturel, puis Méphistophélès, dont je crus bien reconnaître le sourire sarcastique celui-là même qui sous les ombrages du Jard, remplissait à la fois de crainte et de curiosité, les timides Marguerites de la province Française; puis l'aide Démétrios et la déesse Eirenée, belle reconstitution antique tentée par des hommes qui semblent avoir le sens et le goût de la vie grecque, puis un couple d'espaches, création réaliste et réussie de deux de nos plus sympathiques artistes dramatiques, puis le Général Coco, tout noir et le père Noël tout blanc. Enfin arrivée émouvante et d'ailleurs inattendue qu'avait annoncé à la dernière minute un télégramme reçu.
T.S.V.P.


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