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Retranscription du Tuyau, numéro 26, page 1 (6 janvier 1916)

Le N°10 Pfg 6 janvier 1916 N°26

LE TUYAU

Organe indépendant des Prisonniers de Quedlinburg.

Paraissant le jeudi

Rédacteur en Chef: J.Monjour

Rédaction Administration Baraque VI.A

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"Le Tuyau" à ses lecteurs

La Nouvelle Année

Un faux pas malheureux en passant de la vieille année dans la nouvelle, m'éloigne du droit et monotone chemin habituellement suivi. J'errai par des sentiers tortueux et me désaltérai à des sources traitresses où m'attiraient de prometteuses mais décevantes bergères. Au cours de ces tribulations (prière de ne pas lire libations) j'égarai l'article ci-dessous, qui devait paraître dans le dernier Tuyau de 1915. Que ceux de mes lecteurs qui y verront clair au travers de mes métaphores et ne se sont jamais laissés prendre au mirage des nappes limpides mes pardonnent.
Les sources sont taries, les bergères revenues à leurs moutons, j'ai moi-même repris la grande route, la grande route toute droite, désespérement droite, qui ne traverse aucune oasis et ne borde aucun ruisseau. Dussais-je voyager solitaire, j'ai fait le serment de ne la plus quitter jamais, à moins que....
J.M.
Balafrés d'un trait rapide de nos plumes exaspérées ou patiemment voilés sous les fantaisistes et capricieuses enluminures de nos crayons, tous les saints de l'Eglise auront bientôt disparu de nos calendriers.
Encore quelques tours d'aiguille au cadran et saint Sylvestre lui-même, sur la cime culminante d'où il domina l'année entière, un serre-file de la vénérable armée dont il est le doyen, sera submergé à son tour. Du calendrier de mil neuf cent quinze devant lequel nous avons si souvent mélancoliquement rêvé, élaboré de si patients calculs, émis de si decevantes hypothèses, il ne reste plus rien, qu'un bristol noirci, lugubre comme un avis mortuaire symbole du deuil de nos coeurs, en qui l'année qui s'en va a détruit tant de belles et tenaces illusions. Laissons cette année sinistre, pétrie de larmes et de sang, s'enfoncer dans le passé, laissons-la déposer son formidable bilan aux mains de l'Histoire et ne nous attardons pas aux inventaires et aux récapitulations douloureuses qui assombriraient nos pensées.
Détournons nos yeux de ce présent dont nous parlerons demain au passé, oublions l'amertume des espérances trompées, la tristesse des rêves déçus, la mélancolie des illusions vaines; saluons sans arrière-pensée l'année nouvelle, elle s'avance lourde d'imprévu et de promesses.
Rangeons soigneusement au fond de nos coffrets le calendrier périmé de l'année morte, il porte en ses marges étroites, les marques évocatrices de nos illusions et de nos peines, nous l'exhumerons plus tard comme une relique sacrée. Quand les souvenirs de l'année que nous venons de vivre se seront émoussés sous la patine du temps, quand nos mémoires défaillantes auront oublié les dates, il nous restera ce petit calendrier maculé d'encre, comme un témoin


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