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Retranscription du Tuyau, numéro 15, page 1 (21 octobre 1915)
Le N°10 Pf. - 21 octobre 1915. N°15
LE TUYAU
Organe indépendant des Prisonniers de Quedlinburg.
Rédacteur en Chef: J.Monjour
Rédaction Administration Baraque 6.A
Pour nos morts
Secouées par le vent d'automne, les feuilles jaunies de rouille pleuvent des arbres. L'azur du ciel a pris la teinte cendrée des miroirs ternis et le soir, à l'heure où le brasero du soleil s'éteint et lance ses derniers feux, le paysage a un aspect lugubre et sinistre. Des bandes de corbeaux au vol lourd planent dans les nuages mobiles, qu'ils endeuillent de leurs masses sombres, une indéfinissable tristesse flotte dans l'air, la solitude se fait plus lourde, les rêveries plus amères, la nostalgie de la famille et de la patrie plus lancinante et plus tenace! Octobre agonise dans les brouillards. Novembre s'avance précédé d'un catafalque à larmes d'argent et voici venir la plus émouvante et la plus suggestive des fêtes de l'église, la mélancolique Toussaint, la douloureuse journée des Morts! La roue a accompli un tour complet, la Toussant est la première fête que nous allons célébrer pour la seconde fois sur la terre d'exil! Cette année-ci encore, nous n'irons pas à la Toussaint visiter nos morts, nous ne porterons pas des fleurs à leur tombeau, nous n'irons pas nous agenouiller sur la pierre tapissée de mousse de caveaux de famille, évoquer le souvenir des êtres chers qui reposent sous les lourdes dalles. Notre pensée seule, pourra aller errer dans les allées symétriques des cimetières de France pour y suivre le flot de nos familles en deuil. Mais il est d'autres morts que nous avons le devoir de ne pas oublier, des morts sacrés dont nous formons le seule famille en ce pays étranger, des morts dont nous avons la garde tant que durera notre captivité. Je veux parler de ceux de nos camarades qui n'ont pas eu assez de forces pour supporter la rude épreuve et qui, là-bas, aux flancs du Harz dans le petit cimetière de Quedlinburg reposent pour l'éternité sous d'humbles croix de bois? L'an dernier sur l'initiative de notre camarade Jeltsch, une délégation composée d'un homme par compagnie a été autorisée à se rendre au cimetière le jour de la Toussaint et à déposer une couronne de fleurs naturelles sur chacune des quinze tombes qu'il y avait à cette époque. Un lieutenant et un Feldswebel allemands assistaient à cette cérémonie au cours de laquelle Mr Jeltsch prononça quelques paroles émues. Depuis la dernière Toussaint, les petites croix de bois se sont multipliées au cimetière de Quedlinburg. Elles sont au nombre de cent dix, les deux tiers de ceux qui dorment là sont des Français et des Belges, le reste de Russes. La même autorisation que l'an dernier nous a été accordée par les autorités allemandes, nous fleuririons les tombes de nos infortunées camarades, nos couronnes et nos gerbes atténueront pour quelques jours la désolante nudité des lugubres tertres. Pour acheter ces fleurs, ces couronnes, une souscription est ouverte! jusqu'au 23 au soir dans chacun des camps, le délégué français du Comité de Secours recueillera nos oboles. Je m'en voudrai d'insister ici: tous nous connaissons notre devoir, nous ferons les choses avec
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